Franck Cannata a débuté seul, avec un unique camion et une conviction : pouvoir bâtir avec Transcan un opérateur de transport et de logistique de premier plan, en écoutant et en satisfaisant en priorité les besoins des entreprises azuréennes. Il dirige aujourd’hui un groupe de 500 collaborateurs et n’a jamais varié de sa route balisée par la force de l’ancrage local. Fondateur, il expose les raisons de son engagement. Pour agir, pas pour s’afficher.
Vous êtes issu d’une famille de transporteurs, mais vous avez lancé seul votre propre société. Pourquoi ce choix ?
Mon grand-père était déjà transporteur, il descendait des troncs d’arbres de la montagne vers nos vallées, puis s’est diversifié dans le vin qu’il acheminait jusqu’à Nice dans des coopératives qui l’embouteillaient. Son rêve était de faire du transport de marchandises et de s’étendre jusqu’à Paris. Mais il est décédé peu après avoir acheté un camion. À peine âgé de 19 ans, mon père s’est senti obligé d’assumer cette acquisition. Pour la régler, il a commencé à rouler la nuit, le week-end… Il est devenu transporteur alors qu’il n’envisageait pas du tout un tel métier.
Il s’est spécialisé dans la messagerie, un secteur en forte expansion il y a un demi-siècle. À l’époque, de gros acteurs régionaux assuraient cette distribution des marchandises pour le compte de grandes sociétés nationales et internationales de transport. Petit à petit, ces dernières sont venues opérer sur notre territoire, s’y sont implantées. Ces clients habituels se sont transformés en concurrents de son entreprise. L’émergence de la logistique sur le plan régional ouvrant de vraies perspectives, il s’est intéressé à ce métier méconnu localement, voici une trentaine d’années. J’étais adolescent, j’ai eu envie de m’investir sur cette activité.
En 1997, mon père a cédé son entreprise. En 2001, tout jeune adulte, la passion ne m’avait pas lâché, j’ai créé ma société en l’axant sur la logistique, convaincu que l’essor serait fort. Transcan se donnait pour mission de transporter ce qu’il stockait et de stocker ce qu’il transportait au profit des acteurs des Alpes-Maritimes, alors dépourvus de solutions opérationnelles.
Vous affirmiez donc déjà votre détermination d’un ancrage territorial solide pour votre projet ?
C’était mon but affirmé. J’ai débuté avec un seul camion affichant 900 000 km au compteur que j’ai payé en déposant six chèques, faute de disposer des fonds pour tout payer d’une traite. J’ai pu compter sur la bienveillance du groupe azuréen Ippolito qui a accepté ce mode de fonctionnement pour me vendre le véhicule. Transcan a pu ensuite entamer sa croissance.
Comment avez-vous élargi vos activités, mené des diversifications, et structuré un groupe autour de plusieurs filiales ?
Comme chez tout dirigeant, l’élaboration de la stratégie de l’entreprise contient une part conséquente d’intuition. J’ai voulu avant tout me mettre à l’écoute des besoins des acteurs de mon territoire pour imaginer et concevoir les réponses qu’ils attendaient dans le présent tout en essayant constamment de me projeter sur les besoins qu’ils pourraient exprimer dans l’avenir. À mes yeux, il fallait que je conserve toujours une à deux longueurs d’avance dans mon offre pour assurer l’expansion de Transcan.
À quel moment avez-vous perçu que la société était sur les bons rails pour grandir ?
Entre 2012 et 2014, lorsque nous avons construit notre 1er bâtiment, devenu notre siège social. Il avait pour vocation de rassembler le maximum de nos activités, réparties dans des installations sommaires, vétustes, qui devenaient un frein pour nous positionner sur des marchés dominés par des enseignes connues et reconnues. Dès qu’il a été livré, nous avons pu nous atteler à leur prospection dans des conditions idéales. C’est aussi à ce moment que nous avons structuré la filialisation par activité plutôt que tout soit porté par une seule entité dans l’objectif d’être le plus précis possible sur le pilotage de l’entreprise. Ce renouveau s’est révélé un vecteur majeur d’accélération.
Comment avez-vous abordé l’émergence et la généralisation du e-commerce qui ont bouleversé la manière de faire de la logistique ?
Toujours par l’écoute du marché et de ses besoins ! Nous avons analysé toutes les implications locales, nationales ou internationales du moindre achat ou vente sur internet. De prime abord, l’addition des difficultés potentielles, la complexité de se positionner en tant qu’acteur local nous incitaient plutôt à dire non, compte tenu, de plus, du prix du foncier dans les Alpes-Maritimes et du ticket d’entrée élevé que pouvait représenter un investissement dans le e-commerce… Pourtant, nous nous sommes dit que si nous parvenions à un prix compétitif, malgré ce coût du foncier, en atténuant ses impacts par des solutions alternatives, comme un système informatique performant, du service, de la réactivité… Les clients du territoire pourraient peut-être nous rejoindre dans l’aventure et nous faire confiance pour les accompagner. Il fallait les rassembler le plus largement possible pour espérer réussir. Notre logique a été de viser la constitution d’une sorte de centre mutualisé de la logistique e-commerce pour les Alpes-Maritimes. Tous ont répondu favorablement dès lors que le prix, les délais, l’innovation, les services étaient à la hauteur de leurs espérances. Il a fallu creuser pour transformer les contraintes de notre territoire en avantages. Mais nous y sommes parvenus.
Vous avez lancé aussi une offre « Eco City » sur la logistique du dernier kilomètre… La volonté de toujours anticiper ?
Le e-commerce nous a permis de réfléchir au coup d’après, même si Eco City résulte de dix ans de réflexion ! À l’époque, les exigences sur la RSE, le développement durable n’étaient pas aussi répandues qu’aujourd’hui. Mais c’était pour moi une question de simple bon sens : mieux vaut envoyer un véhicule massifié et optimisé à un point de destination que plusieurs au même point ! Le COVID, la transformation énergétique et écologique ont accéléré cette logique de massification optimisée de la distribution de colis.
Parler RSE, c’est porter une attention particulière à ses collaborateurs. Sur votre site web, vous vous employez à les valoriser. Que représentent vos équipes pour vous et la stratégie de Transcan ?
Nous sommes dans un métier où la robotisation, l’automatisation existent bien sûr, mais l’humain a une valeur inestimable. C’est lui qui est à bord.
Peut-être un jour, y aura-t-il en France des véhicules complètement autonomes à grande échelle, sans conducteur, autrement qu’à titre expérimental. Mais depuis la création de la société, j’ai toujours mis l’humain au centre des réflexions, parce que derrière chaque volant, il y a un conducteur, derrière chaque chariot, il y a un cariste, derrière chaque opération de manutention ou de tri, il y a des hommes et des femmes… Ils permettent à Transcan de grandir en assurant la satisfaction de ses clients ! Avant le COVID, nos métiers se heurtaient déjà à une pénurie de main d’œuvre, mais notre réputation nous permettait de passer entre les gouttes des difficultés des recrutements. Depuis la pandémie, la situation s’est compliquée, mais elle s’explique aussi par notre croissance de 20% par an. Il nous faut aller chercher 20 à 25% de collaborateurs en plus ! Pour convaincre ceux qui veulent nous rejoindre, je leur promets d’intégrer une entreprise pragmatique qui fait ce qu’elle promet et qui ne l’affiche qu’une fois la promesse réalisée ! Par exemple, nous n’avons communiqué sur Eco City qu’une fois que la solution fonctionnait. Cette capacité à tenir nos engagements est chère aux yeux de nos collaborateurs.
Avez-vous eu sur certains de vos projets de développement des coopérations avec l’Université Côte d’Azur ? Accueillez-vous par exemple des jeunes chez Transcan et sont-ils sensibles à votre volonté d’ancrage local de vos activités ?
C’est une force indiscutable et une nécessité. Attirer des talents est une chose mais nous voulons attirer des talents du territoire au profit du territoire. La relation avec l’Université est donc primordiale quand on fonde notre croissance sur l’humain et qu’il va nous falloir conduire d’autres évolutions sur les technologies, sur l’informatique, sur l’intelligence artificielle… Pour préserver notre clairvoyance sur les besoins de demain.
Nous accueillons des stagiaires, des alternants, auxquels nous laissons la liberté de s’exprimer parce qu’ils peuvent apporter une vision qui viendra enrichir nos activités… Ils ne doivent pas se sentir freinés, ce sont eux qui feront demain !
Transcan représente aujourd’hui un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et près de 500 salariés sur une dizaine de filiales. Les projets ne manquent pas. Nous achevons cette année l’extension de 1 000 m2 de bureaux supplémentaires sur notre siège social. Un nouveau bâtiment de 15 000 m2 sera construit à partir de 2024 pour une livraison mi-2025. Et en 2025-2026, nous aurons encore un autre bâtiment de 60 000 m2 pour faire face à l’expansion de notre société afin de répondre aux besoins locaux ! Nous n’avons donc pas fini de recruter de nouveaux talents, les candidatures sont ouvertes, et de rester attentifs à la jeunesse qui se forme sur le territoire, d’autant plus qu’il apparaîtra toujours de nouvelles problématiques chez nos clients pour lesquels il nous appartiendra d’imaginer des solutions…
Pourquoi être entré dans la Fondation ? Par votre proximité avec des membres déjà impliqués, par désir d’engagement, par volonté d’apporter une contribution différente à l’essor du territoire ?
Pour tous ces arguments ! J’ai vraiment perçu dans la nouvelle gouvernance l’émergence d’un renouveau et j’ai eu envie d’être un acteur au sens large du terme, pas seulement à travers mon entreprise ! Je suis un homme d’engagement. Je suis également conseiller consultatif à la Banque de France. C’est une autre manière d’agir… Dans un 1er temps, je vais observer l’étendue des missions de la Fondation pour en avoir une bonne lecture et pouvoir me positionner ensuite au cœur de l’action ! Je tiens à apporter aussi ma perception sur les problématiques de foncier, d’infrastructures… Que je vis pleinement en tant qu’entrepreneur de transport !
Quel rôle peut-elle jouer pour la promotion et la reconnaissance du territoire ?
La Fondation est définitivement un accélérateur pour moi ! Sur les talents, les projets, les idées… Elle peut être déterminante. Même si je représente le groupe dans la Fondation, je veille à partager ma motivation avec mes collaborateurs pour que chacun y trouve également un intérêt à échanger, s’impliquer sur des projets en fonction des domaines de compétences, des affinités des uns et des autres…
J’invite aussi d’autres dirigeants à s’engager. Plus nous serons nombreux à partager cette vision d’entrepreneurs soucieux de faire avancer le territoire, plus nous pourrons peser !
Le tourisme est la 1ère activité économique du département. Mais la Côte d’Azur n’est pas que touristique, elle abrite une multitude d’activités industrielles, logistiques, technologiques… De beaux fleurons à travers les Alpes-Maritimes contribuent à sa renommée nationale et internationale, à son attractivité… La réindustrialisation n’est pas un vain mot. Nous ne pouvons pas négliger toutes ces activités qui ont des attentes à satisfaire. Nous avons chacun notre rôle à jouer pour y contribuer. Comme dirigeant d’entreprise et comme membre de la Fondation.