Spécialiste de l’éclairage à La Gaude, Ragni est l’un des piliers industriels de la Côte d’Azur. Née en 1927, comme atelier de ferronnerie à l’initiative de Victor Ragni, réfugié politique italien, l’entreprise est aujourd’hui codirigée par la 4ème génération, Stéphane et Jean-Christophe Ragni qui ont succédé à Marcel Ragni, leur père, toujours observateur avisé de l’évolution d’un groupe qui se décline aussi sous les enseignes Novéa Énergies et SEVⓔ, en France et à l’international. Stéphane Ragni s’est engagé comme administrateur dans la Fondation. Il nous explique comment la longue histoire dans laquelle il a baigné motive et nourrit cette décision de servir son territoire, l’entrepreneuriat local et l’épanouissement de la jeunesse.
Que représente le groupe Ragni en 2023 sur l’ensemble de ses activités ?
Ragni est le 3ème acteur de l’éclairage public en France, travaille dans une soixantaine de pays et fabrique en France sur différents sites à Cagnes-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, et Tourrettes dans le Var. Il emploie 180 personnes et a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros dont 30% à l’export qui va fortement évoluer cette année. Nous assurons conjointement la direction générale avec mon frère Jean-Christophe depuis 2019, dans le prolongement de nos fonctions de directeur commercial France pour moi, directeur commercial export pour lui. Notre père reste présent à nos côtés, il n’est plus dans la stratégie opérationnelle de l’entreprise mais il œuvre au quotidien pour la faire rayonner. Ensemble, nous nous sommes attelés à beaucoup faire évoluer le groupe ces dernières années, toujours fermement attachés à une identité quasiment 100% familiale, puisque seuls quelques investisseurs nous soutiennent dans notre accélération en France et à l’international. L’entrée au capital de Bpifrance vise à répondre à notre besoin d’accompagnement humain, notamment sur l’export et en particulier l’Afrique où le fonds AfricInvest, entré en même temps que Bpi, nous aide à nous positionner durablement sur ce continent, l’un des premiers que Ragni a prospectés à l’étranger. Le groupe, aujourd’hui, repose sur trois marques, Ragni sur l’éclairage public raccordé, Novéa Energies, notre filiale basée à Beaucouzé, près d’Angers, dans l’éclairage autonome solaire, et SEVⓔ, acronyme de « Solutions environnementales pour les Villes », société à mission que nous avons lancée en novembre 2022. SEVⓔ fournit des solutions connectées et durables aux collectivités et entreprises afin de réduire leur consommation énergétique par des systèmes intelligents que nous sommes capables de produire. Ragni est ainsi le seul fabricant dans notre métier à avoir créé une plateforme de supervision au service des villes. La conquête, l’an dernier, d’un énorme marché de solaire connecté au Sénégal à déployer sur 24 mois nous permettra en 2023 de dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous détenons aussi depuis 8 ans une filiale positionnée à Denver pour les Etats-Unis et le Canada. Elle dispose d’une activité de fabrication dédiée à ces marchés sur lesquels nous exportions auparavant depuis la France.
Depuis 2018, votre groupe fait face à un profond bouleversement du contexte économique (coûts de l’énergie, des matériaux…), aux crises sanitaires et sociales de la France, mais aussi à l’affirmation, comme jamais par le passé, des pouvoirs publics d’accélérer la transition énergétique et numérique. Votre activité est au pivot de nombreux enjeux, comment abordez-vous ces transformations ?
Nous en avons fait une opportunité. En tant que 4ème génération, nous devons toujours rester avant-gardistes, comme nos prédécesseurs l’ont été à leur époque, afin de demeurer un leader de l’éclairage public et un interlocuteur indépendant de référence au milieu de concurrents qui dépendent de multinationales. Dans le même temps, nous confortons le groupe sur les exigences sociétales d’aujourd’hui, comme la RSE et le développement durable. Par le passé, Ragni en a toujours fait sans le savoir, maintenant, nous appréhendons la démarche comme un outil structuré et nécessaire, lisible par nos partenaires publics, comme les collectivités, et privés, tels les grands groupes d’installateurs, Vinci, Eiffage, Bouygues… Cette politique passe ainsi par des analyses de cycle de vie de nos lumières, par des Passeports Environnementaux Produits (PEP) qui permettent d’évaluer et afficher le bilan carbone de notre logistique, de notre recyclabilité…
Sur notre nouveau siège social, nous avons ainsi développé un laboratoire qui, cette année, devient auto-certifiant. Nous misons enfin toujours sur l’axe innovation pour conserver notre image de précurseur.
En 2015, quand nous l’avons rachetée, Novéa Énergies réalisait 1 million d’euros de chiffre d’affaires, elle atteint désormais 20 millions et détient des brevets sur différentes solutions. En 2024, la construction de son nouveau siège permettra d’y déployer tout le pôle Innovation.
Le bâtiment qui habrite le siège de Ragni, à Cagnes sur Mer
En 2022, les collectivités ont dû supporter l’explosion des coûts de l’énergie, l’éclairage public s’est retrouvé au centre des préoccupations, beaucoup d’élus choisissant d’éteindre les lampadaires la nuit pour réaliser des économies. Comment avez-vous abordé cette demande puisque ces collectivités ont cherché souvent à être accompagnées dans leur prise de décision ?
Cette crise énergétique s’est révélée un levier d’accélération pour Ragni, puisque la facture énergétique représente en moyenne 40% du budget des collectivités. Elles exprimaient une attente. Nous accompagnons, formons, aidons les villes et villages, pas seulement les Métropoles, pour les faire profiter des technologies d’aujourd’hui sur ces sujets devenus prioritaires. Nous avons développé un service relations publiques et institutionnelles pour parler aux techniciens des communes des potentialités des nouvelles technologies et expliquer aux élus le retour sur investissement qu’ils peuvent espérer. Beaucoup ont coupé l’éclairage la nuit, mais ont engagé des réflexions sur les systèmes qui les aideront à traquer les sources énergivores et mieux piloter l’éclairage public… Ils raisonnent comme des entreprises, sur l’électricité, l’eau, le gaz, et veulent aller de l’avant, tout en s’efforçant de moins consommer. Nous défendons une approche d’éclairage raisonné pour éclairer les rues dans les lieux animés et éteindre là où c’est moins nécessaire.
Dans vos innovations, vous apportez un soin particulier à leur design. Pourquoi en faites-vous un marqueur de l’entreprise ?
Cette vision s’est imposée chez Ragni bien avant l’essor des Leds dans l’éclairage. Le design était un vecteur de différenciation pour frapper les esprits quand nous étions moins visibles sur le marché. Une solution technique peut être belle sans perdre en performance. C’est d’autant plus important pour nous que nous travaillons avec beaucoup de prescripteurs comme les urbanistes, les architectes, les bureaux d’études… qu’il faut convaincre de choisir nos produits plutôt que d’autres.
L’éclairage public, c’est du mobilier urbain. Et ce mobilier urbain doit être esthétique pour ne pas tomber dans le strictement fonctionnel comme dans certains pays.
À titre d’exemple, nous allons jusqu’à collaborer sur la création de « salons nocturnes » sur des places avec le designer et concepteur lumière Roger Narboni. La France a 11 millions de points lumineux et seulement 20% sont équipés de systèmes économes, elle doit progresser, d’où la mise en place du Fonds vert par l’Etat, même si la part accordée à l’éclairage public est insuffisante. Si une collectivité veut lancer rapidement le changement de 5 000 points lumineux, nous sommes prêts à lui proposer des solutions esthétiques et efficaces.
L’entreprise apporte un soin particulier à son mobilier urbain soit visuellement esthétique
Comment avec votre frère faites-vous vivre les valeurs qui ont construit la réputation de la société et comment vous employez-vous à les transmettre ?
Nous sommes des « bébés Ragni », mon frère est entré dans l’entreprise en 1994, moi en 2000, nous avons évolué dans beaucoup de métiers, en nous nourrissant de l’éducation de nos pères, familiale comme professionnelle. Aujourd’hui, il y a une vraie fierté d’apporter la patte de notre génération à l’évolution du groupe. Nous essayons de faire prévaloir une organisation plus collaborative que pyramidale, nous laissons nos collaborateurs exprimer leurs idées. Notre rôle, c’est de piloter et de faire les choix… Quand votre visibilité s’accentue, les sollicitations augmentent, il faut saisir les opportunités sans jamais rien lâcher sur la démarche qualitative qui permet d’aller toujours plus haut. En maîtrisant notre chaîne de valeur, nous maîtrisons aussi notre créativité, notre réactivité, notre présence de terrain… C’est l’ADN de notre groupe familial.
Comment entretenez-vous la flamme avec vos jeunes employés ? De nombreux dirigeants regrettent souvent qu’ils soient moins fidèles…
Nous enregistrons peu de turn-over dans l’entreprise car Ragni reste à taille humaine par nos choix de management. Nous voulons rester proches de nos salariés. Les générations actuelles ont la bougeotte, il faut réussir à leur donner ce sentiment de bien-être, de confiance, pour que les jeunes restent spontanément. Mes managers travaillent à la mission, avec beaucoup d’autonomie, de flexibilité, de liberté, mais ont le devoir de respecter les échéances fixées. Du coup, cet état d’esprit transparaît dans la société.
Comment concevez-vous votre ancrage territorial ?
Mon arrière-grand-père a été chassé d’Italie et la France l’a accueilli. Il a toujours dit à ses enfants sa reconnaissance d’avoir pu travailler, fonder une famille, s’épanouir dans cette région où il s’est installé. Cagnes-sur-Mer, la Côte d’Azur, c’est notre ancrage profond et il l’est demeuré même lorsque nous avons déployé notre présence nationale dans les années 70. Nous nous sommes rapprochés du syndicat de l’énergie local, de la Métropole, des collectivités… J’avais discuté de mon désir d’engagement quand je n’étais pas encore membre de la Fondation avec Mathieu et Laurent Garotta. Aujourd’hui, j’en suis devenu l’un des administrateurs. Mon expérience d’entrepreneur peut aider des jeunes à rester sur ce territoire, à y monter en puissance et à lui redonner une industrie qui s’est un peu perdue. Ragni démontre qu’il est possible d’être compétitif en fabriquant en France avec de la main d’œuvre française et de gagner des marchés face à des grands groupes internationaux. Si la Fondation donne un coup de main à des jeunes avec des Bourses, à des créateurs d’entreprises en les accompagnant, il est important qu’ils comprennent qu’ils auront aussi leur rôle à jouer en restant impliqués sur ce territoire.
Comment avez-vous été approché par la Fondation et pourquoi vous y êtes-vous investi ?
En prenant du recul sur l’opérationnel de l’entreprise, j’ai pu me libérer du temps pour réfléchir et me positionner sur différents sujets. Laurent et Mathieu Garotta m’ont expliqué comment je pourrais utiliser mon temps, comme mécène, à titre non lucratif, sur une multitude de sujets, grâce à la Fondation. La dynamique créée par sa petite équipe au quotidien m’a donné envie de m’investir à mon tour. Pour continuer à grandir humainement, professionnellement, entreprendre, ce n’est pas seulement se lever le matin, avoir de bonnes idées pour faire progresser son entreprise, engendrer des profits pour la pérenniser et faire gagner de l’argent à ses collaborateurs. C’est œuvrer aussi pour transmettre un message au-delà de son propre métier. À la Fondation, je ne travaille pas que sur l’éclairage public, je rencontre, j’échange avec d’autres personnalités qui portent, elles aussi, de beaux exemples de réussite sur le territoire. Nous avons tous quasiment le même âge, nous nous dévouons à marquer un peu l’histoire de la Fondation en l’aidant à avancer.
Sur quels dossiers souhaitez-vous plus particulièrement apporter votre regard et votre énergie ?
Je n’ai pas d’attente, ni de priorité, mais le souci d’être proche des universitaires pour faciliter l’insertion des jeunes par des stages, des formations, partager avec eux des préoccupations sur des sujets techniques, d’ingénierie, afin qu’ils œuvrent à leur tour pour faire avancer les choses… À travers le dispositif PASS (Pré-Accélération Seed Startups), je veux aider au démarrage, à la structuration et au pilotage de vrais projets entrepreneuriaux qui pourront grandir demain sur le territoire. L’Université, la Fondation, nous offrent une possibilité d’épauler des jeunes pour qu’ils concrétisent leurs ambitions, un appui dont nous n’avons pas forcément bénéficié par le passé !
C’est un engagement très personnel ou vous le partagez avec vos collaborateurs ?
Dès que je suis devenu membre de la Fondation, je l’ai annoncé à mes équipes. Certains ont pu s’apercevoir que nous avons beaucoup de sujets en commun à bâtir, même sur la RSE. Quand je m’engage, je ne suis pas un membre passif. Je veux donc faire grandir le PASS, m’impliquer aussi sur les Bourses d’excellence… Il me tient à cœur également de mettre les universitaires dans un contexte différent, d’accroître les synergies avec le monde de l’entreprise, et de ramener des futurs mécènes pour porter la voix de la Fondation beaucoup plus loin.
Il faut d’abord qu’ils s’entourent bien dans leur entreprise pour se donner la chance de prendre de la hauteur et de se doter d’une vision à long terme. Ensuite, rejoindre la Fondation, ça reste particulier à chacun. À moi, cet engagement m’a parlé parce qu’elle est un vrai vecteur d’action pour le développement du territoire. La Métropole considère Ragni comme un fleuron industriel de la Côte d’Azur, que mon frère et moi continuons à faire croître. À travers notre exemple, d’autres peuvent se convaincre que c’est possible et surtout ne pas se décourager, s’ils passent une période difficile. Il faut crier le plus fort possible que c’est faisable, avec du courage, que nous pouvons travailler à cette souveraineté industrielle pour laquelle la Côte d’Azur n’est pas forcément renommée. Il n’y a pas que le tourisme. Ensemble, nous devons réussir à redonner le goût de l’industrie aux jeunes, faire reculer leurs peurs, leur dire qu’il y a de la place pour eux, qu’ils veulent ou pas effectuer de longues études. L’industrie a de l’avenir. Ma génération a vécu l’ancienne, elle n’est pas du tout fermée à celle de demain et à ses préoccupations sur le respect de l’environnement, de la biodiversité… Nous aussi, nous voulons accélérer ces évolutions-là !